Réputé pour la qualité de ses centres de formation, l’ancien international français s’apprête à ouvrir une nouvelle académie à Abidjan. Il évoque ici ses méthodes, ses projets et sa vision du jeu.
Il ne fait pas ses 71 printemps, qu’il a fêtés en décembre 2017. Décrit comme un milieu de terrain technique et parfois génial, Jean-Marc Guillou a, comme les footballeurs de son temps, joué dans un petit nombre de clubs au cours de sa carrière : Angers, Nice, Neuchâtel Xamax et le Servette Genève. Mais il a, ce qui n’est pas donné à tout le monde, porté dix-neuf fois le maillot de l’équipe de France, notamment lors de la Coupe du monde 1978.
Au début des années 1990, le Français décide de se consacrer à la formation. Et, en 1993, ouvre à Abidjan sa première académie (MimoSifcom), en partenariat avec l’Asec Mimosas et le groupe Sifcom. Une aventure qui verra éclore une pléiade de joueurs : Yaya et Kolo Touré, Copa Barry, Arthur Boka, Emmanuel Éboué, Gervinho, Salomon Kalou, Baky Koné, Aruna Dindane ou Didier Zokora, Romaric, Yapi Yapo etc… Elle s’achèvera dix ans plus tard devant la justice ivoirienne, au terme d’un conflit virulent qui l’opposa à Roger Ouégnin, le président de l’Asec.
Aujourd’hui, Guillou revient à Abidjan à la demande de la Fédération ivoirienne de football (FIF). Sa mission : engager une vaste réforme de la formation, sur le modèle des académies qu’il a fondées en Afrique et en Asie. En marge d’une conférence à Neuchâtel (Suisse), l’ancien international français évoque pour JA sa méthode de travail ainsi que les nouveaux défis auxquels le football africain est confronté.
Jeune Afrique : Vous allez revenir à Abidjan à la demande d’Augustin Sidy Diallo, le président de la FIF. Quelle sera votre mission ?
Jean-Marc Guillou : M. Diallo souhaite réorganiser la formation en Côte d’Ivoire et me laisse carte blanche. En Afrique en général et dans ce pays en particulier, les compétitions de jeunes sont trop souvent négligées, voire inexistantes. Je vais donc ouvrir une nouvelle académie, l’objectif étant de repérer les meilleurs joueurs, de les orienter vers les meilleures structures de formation et de préparer ainsi l’avenir du foot africain.
Comment cela se traduira-t‑il concrètement ?
Il y a 24 millions d’habitants en Côte d’Ivoire, et un potentiel de 300 000 licenciés dans la tranche d’âge 8-17 ans. Nous allons diviser le pays en cinq ou six régions et organiser de véritables compétitions pour les jeunes. Cela prendra des années pour que toutes les catégories d’âge soient concernées. Mais que les choses soient claires : je ne serai pas directeur technique national [DTN] !
Comment financerez-vous ce programme ?
D’abord grâce aux licences des joueurs, avec un tarif adapté aux réalités économiques du pays. Puis grâce aux transferts. Comme toujours dans mes académies, la sélection sera stricte. Je reste un amoureux et un défenseur du beau jeu, mais nous visons la performance. On peut être un joueur très technique tout en étant efficace.
Quand un jeune entre chez nous, c’est parce qu’il a des chances élevées d’intégrer un jour la sélection nationale. Nous avons également un très haut degré d’exigence en matière éducative. Nos académiciens suivent une scolarité adaptée à la pratique du sport.
Votre aventure avec l’Asec s’est achevée devant la justice ivoirienne, qui vous a condamné en 2003 à cinq ans de prison et à une amende de 292 millions de F CFA (environ 445 000 euros). Cette affaire a-t‑elle laissé des traces ?
Elle a brisé une longue amitié avec M. Ouégnin. Quand il a voulu prendre le contrôle de MimoSifcom, j’ai proposé que l’affaire soit portée devant le Tribunal arbitral du sport [TAS], mais il a préféré qu’elle soit jugée par les tribunaux ivoiriens… Cela étant, on m’a assuré que je pouvais revenir en Côte d’Ivoire sans problème. J’espère même y terminer ma vie.
Vous avez ouvert d’autres académies : en Afrique (Mali, Ghana, Madagascar, Égypte, Algérie, Maroc), en Asie (Vietnam, Thaïlande) et en Belgique. Certaines ont fermé. Le bilan est-il mitigé ?
Certaines académies ont fermé parce que leur contrat arrivait à terme. Il y a aussi des cas particuliers. Pour faire fonctionner une académie, il faut convaincre des investisseurs. Et, aussi, des clubs partenaires. Or certains présidents de club peuvent être tentés de prendre le contrôle d’une académie : ce fut le cas à l’Asec ou en Algérie, à Paradou.
Il y a aussi les réalités sportives : à Madagascar, nous n’avons pas poursuivi l’aventure en raison du niveau du football local. N’oublions pas qu’une académie gagne de l’argent grâce aux transferts qu’elle réalise. Aujourd’hui, la plus rentable est celle de Bamako. Nous la gérons à 90 %, et sommes partenaires du Real Bamako [division 1], qui fait jouer en équipe première certains de nos académiciens. Je rappelle au passage que MimoSifcom était rentable quand ma société la gérait…
Beaucoup de sélections nationales africaines font appel à des binationaux. Est-ce un problème ?
Pas pour moi. Je ne suis pas d’accord avec Michel Platini [l’ex-président de la Fifa] quand il dit que les joueurs doivent être formés localement. Beaucoup de footballeurs d’origine africaine sont nés en France et y ont été formés. Statistiquement, les chances de porter le maillot des Bleus ne sont pas élevées.
Si, à un moment donné, les joueurs constatent que les possibilités de représenter la France sont quasi nulles, et qu’ils acceptent de changer de nationalité sportive pour aller en Algérie ou au Sénégal, où est le problème ? Cela permet de rehausser le niveau des sélections africaines et, partant, celui du foot africain.
Pendant la CAN, seuls quatre sélectionneurs (Aliou Cissé au Sénégal, Florent Ibenge en RD Congo, Baciro Candé en Guinée-Bissau et Callisto Pasuwa au Zimbabwe) étaient africains…
C’est peu, en effet. Ce n’est pas une affaire de nationalité ou de couleur de peau, mais de compétence. Je pense néanmoins qu’un sélectionneur étranger devrait être obligé de vivre la plus grande partie de son temps en Afrique pour suivre les compétitions locales, s’intéresser aux équipes de jeunes, rencontrer les entraîneurs.
On m’objectera que beaucoup d’internationaux jouent en Europe ou en Asie. C’est vrai, et rien n’empêche un coach d’y faire un tour de temps en temps ou de suivre les matchs à la télévision depuis l’Afrique ! Enfin, un sélectionneur étranger, même s’il coûte plus cher, est moins soumis aux influences et aux jalousies locales.
Serait-il souhaitable de développer le professionnalisme en Afrique, afin d’inciter les joueurs à rester sur le continent ?
Bien sûr, même si on ne peut jamais empêcher des joueurs de rejoindre l’Europe. Il faut avant tout motiver les investisseurs en améliorant les structures et en s’attaquant à des problèmes tels que la violence dans les stades ou la corruption. En Afrique, aujourd’hui, les clubs qui offrent des salaires intéressants à leurs joueurs sont gérés par des mécènes, comme Moïse Katumbi au TP Mazembe [RD Congo] ou Antonio Souaré à Horoya [Guinée]. Le cas de l’Afrique du Sud est différent, puisque les droits télé y sont assez élevés.
Il faut aussi donner aux joueurs de vrais contrats, des terrains en bon état… Si on leur propose des salaires conformes aux réalités du pays, ils préféreront rester chez eux plutôt que de s’exiler, car le niveau des championnats africains s’améliorera.
À partir de 2026, la Coupe du monde se jouera à 48. Neuf ou dix sélections africaines seront qualifiées, contre cinq actuellement…
Il faut tester cette formule, qui, évidemment, est bonne pour l’Afrique. Le problème, c’est que des joueurs font 70 matchs par saison, ce qui est trop, et on ne leur demande jamais leur avis. Je milite pour des réformes qui permettraient d’améliorer le spectacle à la CAN ou à la Coupe du monde : un bonus d’un point pour les équipes qui marquent trois buts, et un malus d’un point pour celles qui en encaissent trois.
source Jeune Afrique