Dans la petite ville de Djékanou, soixante-trois adolescents, âgés de 12 à 18 ans tapent dans un ballon matin et soir, six jours sur sept, avec l’espoir de devenir un jour professionnels.
L’endroit est introuvable. Sans une localisation envoyée sur WhatsApp, rien n’indique le chemin – cabossé – vers ce repère de « diamants » comme dit Adrien Gaignon, 52 ans, le responsable des lieux. Ses joyaux ? Soixante-trois adolescents, âgés de 12 à 18 ans, qui semblent ne pas avoir le temps de sourire. Sérieux, trop sérieux. Ils sont là pour verser de la sueur, rien que de la sueur. Et taper dans un ballon, matin et soir, six jours sur sept. Un but les obsède : devenir professionnel. Comme leurs grands frères ivoiriens qui affronteront le Mali en quarts de finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), samedi 3 février, à Bouaké.
Ces enfants croient en Dieu, en leurs parents et en l’académie Jean-Marc Guillou (JMG). A deux pas de la mosquée de Djékanou, petite ville située à une cinquantaine de kilomètres au sud de Yamoussoukro, capitale administrative de la Côte d’Ivoire, ce centre de formation de foot, ouvert par l’ancien international français en 2016, est une terre d’opportunité pour ces apprentis. « C’est un privilège, assure Hamza Coulibaly, 14 ans, académicien depuis près de trois ans. On nous donne toutes les chances ici pour devenir un grand joueur. »
A l’intérieur des murs jaunes et bleus, rien de clinquant : de simples bâtiments se succèdent dans lesquels se trouvent des dortoirs rudimentaires mais climatisés, des salles de classe et un réfectoire. Et en contrebas, vers l’horizon, juste après le baby-foot, s’étire le terrain malmené par la chaleur. En cette fin d’après-midi, sur la pelouse rêche, les enfants jonglent encore et encore, comme si leur vie en dépendait, sous le regard attentif des quatre entraîneurs.
« Ils répètent leur gamme comme des pianistes, explique Adrien Gaignon, le manager de l’académie et neveu de Jean-Marc Guillou. Dans ce sport comme pour la musique, il ne faut pas de fausses notes. » A JMG, le foot, c’est avant tout une philosophie : des passes, la possession et de la vitesse sans jamais aller au duel. C’est l’art de rue « qui n’existe plus en France », regrette M. Gaignon. « On revendique le foot des poètes, sourit-il. Pour nous, l’essentiel, c’est que les garçons prennent du plaisir. »
Maîtriser le cuir du ballon pieds nus
Tout est codifié depuis l’ouverture de la première structure en 1994 située alors à Abidjan (fermée depuis). D’abord, tous les enfants sont pieds nus pour leur apprendre à maîtriser le cuir. Les nouvelles recrues (12 ans) – sélectionnés sur un critère de poids pour éviter des problèmes liés au trafic d’âge – font une série d’exercices, dans un temps imparti, à réaliser sans jamais faire tomber le ballon au sol.
Une fois le geste acquis, ils peuvent jouer ensemble mais sans gardien de but. « J’ai conçu des exercices de jonglerie, de conservation du ballon et de progression vers l’avant avec différents paliers à franchir, explique Jean-Marc Guillou, 78 ans, rencontré dans sa villa d’Abidjan au début de la CAN. La méthode comprend une véritable échelle de progression. Les exercices doivent répondre à une conception du football qui montre l’esthétique du jeu. »
Cette « échelle » est composée de trois degrés et, en moyenne, il faut une année voire plus aux apprentis pour passer chaque étape. « Ils y arrivent tous », assure Adrien Gaignon. Une fois le troisième degré validé – vers 15 ans –, ils peuvent mettre des chaussures. « Il y a beaucoup d’exigences, mais on n’a rien sans rien, ajoute Hamza Coulibaly. Dans les quatre coins du monde, beaucoup de gosses taffent comme nous. Donc, il faut beaucoup travailler pour se faire remarquer. »
La volonté de ces enfants est sans limite. Certains ne sont pas plus hauts que trois ballons, mais font preuve d’une maturité déconcertante, conscients que leur destin et celui de leur famille sont en jeu. « Une grande majorité des académiciens proviennent d’un milieu très modeste », pointe M. Gaignon. Comme le petit Mohamed Saba, 12 ans, originaire de Yopougon, commune populaire d’Abidjan.
C’est sa première année à l’académie, ses parents lui manquent. Il trouve du réconfort auprès de « maman Diane », l’intendante de l’académie, et des trois bergers malinois. « Je suis concentré, c’est très dur, mais je voudrais faire la fierté de mes parents, souffle-t-il en arrachant quelques herbes de la pelouse. Je viens d’une famille pauvre. [Si] je suis ici, c’est pour enlever mes parents de la souffrance. » Il est très pressé aussi de passer les degrés, car il touchera 10 000 francs CFA par mois (15 euros) une fois le deuxième échelon franchi, le double au troisième niveau.
Lorsqu’un garçon est sélectionné pour entrer dans l’académie, « nous le prenons complètement en charge, explique Adrien Gaignon. Cela enlève un poids aux familles avec qui nous signons un contrat de formation ». Nourriture, frais médicaux, transport. A 16 ans, ils signent un contrat pro mineur (salaire de 53 700 francs CFA), puis à la majorité un contrat pro (70 000 francs CFA par mois) avec le club de l’académie (le JACA). Le budget est l’académie avoisine les 500 000 euros par an.
En Côte d’Ivoire, au Mali et au Vietnam
Les apprentis ont aussi 22 heures de cours par semaine, mais l’école peut être compliquée à suivre. « Les plus jeunes sont motivés, mais certains à 12 ans n’ont pas le niveau pour être en 5e, je les ramène en CE2 pour qu’ils réapprennent les bases, décrit Aimé Kouassi, 47 ans, le responsable éducatif. C’est normal, ils ont passé leur enfance à jouer au foot. Nous sommes là pour leur donner une éducation académique mais surtout morale. » Et difficile de motiver les plus grands, plus soucieux de performer au foot pour espérer filer en Europe que d’avoir des diplômes…
Depuis 1994, jusqu’à dix académies JMG ont été ouvertes dans le monde (Thaïlande, Madagascar, Ghana…). Aujourd’hui, il n’en reste plus que trois : à Bamako, au Vietnam et à Djékanou. En trente ans d’existence, une flopée de stars ivoiriennes en sont sorties : Gilles Yapi-Yapo, Yaya Touré, Aruna Dindane, Didier Zokora… Et plus récemment, le Ghanéen Alidu Seidu, 23 ans, qui vient de s’engager avec Rennes. « De 2000 à 2006, les académiciens ont formé l’ossature des Eléphants, se souvient Jean-Marc Guillou. Cette équipe avait le niveau pour gagner cinq coupes d’Afrique et aller en demi-finale de la Coupe du monde. »
Dans l’effectif malien qui rencontrera la Côte d’Ivoire en quarts de finale de la CAN, le 3 février, neuf – dont cinq titulaires – ont été formés à l’académie JMG de Bamako. « Nous arrivons à placer 50 % de nos académiciens en Europe, se félicite Adrien Gaignon. Les autres arrivent à vivre du foot sur le continent africain. »