Après avoir fait le bonheur de la Côte d’Ivoire dans les années 2000 et 2010, l’Académie Jean-Marc Guillou est devenue l’un des principaux fournisseurs de talents pour le Mali, qui débute sa CAN 2024 mardi 16 janvier (21 h) contre l’Afrique du Sud. Un tiers des Aigles sélectionnés pour cette Coupe d’Afrique des nations en sont issus.
Neuf sur 27. Le calcul est simple, même pour les élèves les moins attentifs en cours de mathématiques. Un tiers des joueurs sélectionnés par Eric Chelle pour participer à cette Coupe d’Afrique des nations avec le Mali sont issus de l’Académie Jean-Marc Guillou, à Bamako. Une part importante qui renvoie forcément quelques années en arrière, lorsque les « Académiciens » peuplaient de façon presque majoritaire la sélection de Côte d’Ivoire.
En 2010, c’était le cas pour onze des 23 Éléphants convoqués par Sven-Goran Eriksson pour la Coupe du monde en Afrique du Sud. Quatre ans plus tôt, dix des 23 Ivoiriens présents au Mondial allemand étaient formés à l’Académie JMG d’Abidjan. Gilles Yapi-Yapo faisait partie de ceux-là. « C’est la plus belle période de ma jeunesse », se remémore l’ancien meneur de jeu du FC Nantes (2003-2006) à propos de ses années de formation.
« On ne fait pas un orchestre avec des gens qui ne possèdent qu’à moitié leur instrument »
Cette Académie, c’est l’idée d’un homme. L’ancien numéro 10 international français Jean-Marc Guillou (19 sélections), élu joueur du siècle d’Angers Sco. Après une carrière d’entraîneur entre la France et la Suisse, il met le cap sur la Côte d’Ivoire et se lance dans un projet fou : former des joueurs qui permettront aux Éléphants de participer à la Coupe du monde, en les repérant très tôt. « L’objectif de Jean-Marc était clair. Il voulait faire de nous des footballeurs professionnels, pose Yapi-Yapo. Mais il insistait sur le fait de nous former également en tant qu’hommes, avec des valeurs. »
À Abidjan, l’Académie est basée sur un site au nom prédestiné : Sol Béni. Là-bas, la qualité technique est travaillée dès le plus jeune âge. « Je compare toujours avec la musique, sourit Régis Laguesse, présent avec Jean-Marc Guillou en Côte d’Ivoire et dans de nombreux centres. On ne fait pas un orchestre avec des gens qui ne possèdent qu’à moitié leur instrument. La maîtrise du ballon est indispensable pour le football. On me dit parfois : “On peut compenser par autre chose.” C’est comme dire : “Il ne sait pas bien jouer du piano mais il tape très fort sur les touches, ça compense.” » Ce toucher de balle unique fait presque office de passeport pour les Académiciens. « La maîtrise technique au-dessus de la moyenne, c’est ce qui les différencie des autres joueurs », précise Thierry Guillou, sans lien de parenté avec Jean-Marc, qui avait passé un mois au sein des Académiciens de Bamako en 2008 à la fin de ses études.
Les jeunes évoluent pieds nus « pour apprivoiser le ballon »
Pour ce faire, les formateurs utilisent une méthode bien précise : les joueurs doivent évoluer pieds nus. « On était habitués à jouer sans chaussures dans les quartiers, explique Gilles Yapi-Yapo. À l’Académie, on apprenait à jongler avec toutes sortes de balles, à apprivoiser le ballon. » « Je garde en tête une certaine simplicité dans les contenus, se souvient Thierry Guillou, aujourd’hui directeur de l’Académie KPC en Guinée. La maîtrise du jonglage m’avait également marquée, ils y consacrent beaucoup de temps, ainsi que le volume d’entraînement avec deux séances par jour. » Le formateur breton, qui a également écrit un livre « Football et formation : une certaine idée du jeu », parle de Jean-Marc Guillou comme une « source d’inspiration ».
À l’époque, les partenaires de football de Gilles Yapi-Yapo se nomment Kolo et Yaya Toure, Aruna Dindane, Siaka Tiéné, Arthur Boka, Didier Zokora… L’acte de naissance footballistique de ceux qui ne sont alors que des gamins a lieu en février 1999, lors de la Supercoupe d’Afrique. Les Académiciens ont remplacé les anciens joueurs de l’Asec Mimosas, tous vendus. Ils affrontent l’Espérance de Tunis, récent vainqueur de la Coupe d’Afrique des vainqueurs de Coupe.
Face à une grande majorité d’internationaux tunisiens, les jeunes Ivoiriens (le plus âgé, le gardien Copa Barry a 19 ans) s’imposent 3-1 après prolongation et frappent un grand coup sur la scène continentale. « C’est le match qui a mis en lumière tout le travail effectué dans l’ombre depuis plusieurs années, revit avec plaisir Gilles Yapi-Yapo. Pour nous, c’était la suite logique des choses. Avec le recul, on se rend compte que c’était un rêve fou, démesuré. » Cet exploit trouve même un écho en Europe. France 2 leur consacre par exemple un numéro d’Envoyé Spécial, intitulé « Les Enfants de Jean-Marc Guillou ».
« Si c’était un hasard, il ne l’aurait pas reproduit au Mali »
Cette réussite ivoirienne a poussé Jean-Marc Guillou à ouvrir d’autres Académies, dans différents pays du continent africain (Algérie, Ghana, Mali…) mais également du monde (Belgique, Vietnam, Thaïlande). Celle de Bamako est la digne représentante de la pionnière d’Abidjan. Avec toujours la même méthode de travail. « Ce que Jean-Marc a fait en Côte d’Ivoire, c’était génial, lui rend hommage Gilles Yapi-Yapo. Il a tout planifié, c’est un visionnaire. Si c’était un hasard, il ne l’aurait pas reproduit au Mali. » « La même méthode donne les mêmes résultats, abonde Régis Laguesse, qui dirige l’Académie du Tout-Puissant Mazembé, en République démocratique du Congo. On peut avoir des doutes mais ça dure depuis 30 ans. Montrez-moi autre chose qui fonctionne mieux ! »
Outre le fait de jouer pieds nus, un des autres secrets de la méthode JMG, c’est « une sélection drastique à l’entrée, explique Thierry Guillou. Le recrutement est basé sur des joueurs avec une grande habileté technique. » « Elle s’adresse à des joueurs de talent, continue Régis Laguesse. Tout est dans la détection. Mais, en Afrique, il y a du talent partout. Vous me faites sauter de l’avion n’importe où en Afrique noire, je vais en trouver ! »
Amadou Haïdara (RB Leipzig), Yves Bissouma (Tottenham), Hamari Traoré (Real Sociedad), Mohamed Camara (AS Monaco) ou encore un des petits derniers Kamory Doumbia (Stade Brestois) font partie de cette nouvelle génération de joueurs maliens issus du même centre de formation. Suffisant pour que les Aigles rêvent d’un avenir doré, avec une victoire à la CAN comme la Côte d’Ivoire en 2015 ? « C’est un bon présage mais il faut tout prendre en compte. En tout cas, ils ont les armes », pense Gilles Yapi-Yapo. « En Afrique, il y a tellement de choses qui interviennent à tous les niveaux, poursuit Régis Laguesse. À chaque CAN ses petites histoires. Entre les promesses des dirigeants, ce que donne l’État et ce qui arrive aux joueurs… Faire des pronostics est quasiment impossible. » Pas favoris, les Maliens font néanmoins figure de sérieux outsiders. Le premier match face à l’Afrique du Sud, mardi 16 janvier (21 h), pourra permettre d’en savoir plus sur leur potentiel.
Ouest-France de