Si par ses buts décisifs, Seko Fofana n’en finit plus d’enchanter les supporters du RC Lens en 2022, l’Ivoirien doit son essor en partie à un homme, Cheick Doucouré. Catégorisé comme un joueur de l’ombre, le Malien est en réalité bien plus que cela. Focus sur la deuxième pièce essentielle de l’entrejeu des Sang et Or.
« Seko Fofana est le joueur dont on parle le plus car il a un jeu spectaculaire avec beaucoup de percussion mais il y a aussi beaucoup d’autres bons joueurs dont un. On en parle moins mais Cheick Doucouré est tout aussi important pour Lens. On aurait bien aimé qu’il parte avec sa sélection à la CAN (rires) ». Le 7 janvier dernier, alors que son Stade Rennais s’apprête à prendre la direction du stade Bollaert pour y affronter le RC Lens, Bruno Genesio rend hommage à un joueur trop souvent oublié au moment de saluer les exploits du Racing.
Enfance ivoirienne et demi-finale du Mondial U17
Pour Cheick Doucouré le football est une histoire de famille. Fils d’un père fan de ballon rond, le petit Cheick touche ses premiers ballons dans son quartier, en Côte d’Ivoire, où ses parents ont déménagé pour des raisons financières alors qu’il n’avait que trois ans. Surnommé « Ronaldinho » par ses copains de l’époque, le petit malien tape dans l’œil d’un des scouts de la célèbre Académie Jean-Marc Guillou. À 11 ans, il quitte donc le cocon familial et fait son retour dans son pays natal, le Mali, avec comme objectif de suivre les pas de son idole, Yaya Touré.
Le premier déclic intervient à l’âge de 16 ans. Appelé par la sélection malienne des moins de 17 ans pour disputer la CAN de la catégorie, Cheick Doucouré prend part à la victoire finale du Mali. De quoi lui permettre de s’envoler vers l’Inde où se dispute en octobre 2017 la Coupe du Monde U17. Là-bas, Cheick Doucouré doit d’abord se contenter de quelques entrées en jeu, la faute au statut de capitaine de son concurrent au poste. En demi-finale, il profite justement de la suspension de ce dernier pour débuter la rencontre opposant le Mali à l’Espagne. Face aux partenaires de Ferran Torres, loin d’être groggy par l’enjeu, Cheick Doucouré fait admirer toute l’étendue de sa palette et se voit même refuser un but. S’il ne permet pas aux siens de se qualifier pour la finale (1-3), le natif de Bamako a retenu l’attention d’Éric Roy, alors directeur sportif du RC Lens.
« En arrivant en Europe, tu es en mission »
Emballé, l’ancien entraîneur de l’OGC Nice décide de proposer un essai au gamin. Là encore, le test est concluant. En janvier 2018, Cheick Doucouré s’engage donc avec le RC Lens. Après avoir passé six mois d’acclimatation avec la réserve des Sang et Or sous les ordres d’un certain Franck Haise, le jeune malien est convoqué pour la première fois par Philippe Montanier avec le groupe professionnel le 27 juillet 2018 à l’occasion de la première journée de Ligue 2. Déjà titulaire alors qu’il n’est âgé que de 18 ans, le gamin ne déçoit toujours pas. Numéro 33 dans le dos, il s’affirme même comme la sentinelle du 4-3-3 de l’ancien entraîneur de la Real Sociedad. « Après coup, son ascension n’est pas étonnante. Depuis son arrivée en Europe, il est habité par la volonté de réussir. C’est le genre de mec qui ne parle pas et qui bosse en silence. Le gars vient du Mali, il sait pourquoi il est là et il va se donner les moyens d’y arriver » raconte Zakaria Diallo, son voisin de vestiaire entre 2019 et 2021.
Un regard venu corroborer celui de l’intéressé lui-même. « En arrivant en Europe, tu es en mission. Tu laisses tes parents et ta famille au pays, eux comptent sur toi. Tu es dans l’optique d’aller au bout de ta mission. Cela devient une obligation de ressortir professionnel. En allant à l’Académie (Jean-Marc Guillou), tu as 80% de chances d’être un bon joueur. Mais tout le monde n’a pas cette opportunité de rejoindre l’Europe » déclarait Cheick Doucouré dans une interview accordée à Onze Mondial en août 2020. Sérieux, le gamin est loin du laxisme dont font preuve certains talents tricolores. « Sa capacité à être hyper sérieux dès qu’il faut travailler est impressionnante. Dans le vestiaire, même si ça reste un introverti, quand il est à l’aise, il va se lâcher. Il n’ira pas vers les gens mais ce sera le premier à rigoler avec les personnes qu’il apprécie. Par contre, à l’entraînement, pas de place pour la rigolade » poursuit Zakaria Diallo.
Outre son talent et sa détermination, l’une des principales forces de Cheick Doucouré est de saisir la moindre chance qui lui est donnée. À l’été 2019, malgré une première saison pleine du gamin en Ligue 2, Philippe Montanier et les dirigeants lensois décident de renforcer drastiquement l’entrejeu dans l’optique de monter. Ainsi, Yannick Cahuzac, Manu Perez et leurs 320 matchs de Ligue 2 en cumulé débarquent dans le Pas-de-Calais, venant compléter un secteur de jeu déjà occupé par Guillaume Gillet et… Cheick Doucouré. « Quand je suis arrivé à l’été 2019, il était encore loin de son statut d’aujourd’hui. Il débutait la saison dans la peau du petit jeune qu’il n’est pas difficile de laisser sur le banc. Philippe Montanier ne comptait pas forcément sur lui. Même s’il est formé en tant que milieu défensif, il a su profiter d’un passage à 3 derrière et des blessures de Steven Fortes et Jonathan Gradit pour faire son trou en défense centrale. Comme c’est quelqu’un de très polyvalent, il y a fait de très grosses performances et n’est plus jamais sorti du 11 » raconte Zakaria Diallo.
Franck Haise, le mentor
Pour Cheick Doucouré, un nouveau déclic intervient à la fin du mois de février 2020. Au terme d’une mauvaise série de résultats couplée à des contenus inquiétants, Philippe Montanier est mis à pied et remplacé par Franck Haise sur le banc lensois. « Quand Franck Haise est arrivé, on a tous halluciné ! Il avait une vraie philosophie de jeu, il savait comment nous parler. C’était un truc de fou ! » raconte Zakaria Diallo. « Une des premières choses qu’il a changées a été de remettre « Douc » au milieu. Il le connaissait de l’époque où il l’avait eu en réserve. Il en a tout de suite fait l’un de ses hommes de base » poursuit le défenseur de 36 ans aujourd’hui joueur de NorthEast United, en Inde.
Intronisé à la tête de l’équipe première lensoise le 25 février 2020, Franck Haise ne dirige que deux matchs de Ligue 2, tous deux remportés face à Orléans (1-0) et au Paris FC (0-2). Le 13 mars, le Covid entérine une bonne fois pour toutes le retour des Sang et Or dans l’élite. En Ligue 1, les Lensois ne sont pas attendus. Au contraire, emmenée par un entraîneur novice, la formation artésienne semble même destinée, comme six ans plus tôt, à reprendre l’ascenseur direction la Ligue 2. Au milieu, Cheick Doucouré s’apprête à débuter sa première saison dans la peau d’un titulaire indiscutable en professionnel. Loin d’être submergé par la pression, le jeune malien excelle, à l’image de son équipe. Pour ses débuts dans l’élite, à 20 puis 21 ans, il prend part à 33 des 38 matchs disputés par le Racing.
Dans l’entrejeu lensois, le tandem qu’il forme avec Seko Fofana s’affirme semaine après semaine comme une référence. Dans le 3-4-3 de Franck Haise, Cheick Doucouré harcèle, récupère, distribue et met sur orbite son partenaire de double-pivot. « La capacité de « Douc » à récupérer les ballons dans les pieds adverses est impressionnante. Il est toujours bien placé. Si Seko Fofana brille autant depuis deux ans, c’est aussi parce qu’il sait que derrière lui « Douc » assure ses arrières. Il peut donc se projeter sereinement et ça fait toute la différence » analyse justement Zakaria Diallo. Indispensable, Cheick Doucouré n’est autre que le garant de l’équilibre du RC Lens. « Il est costaud sur ses appuis, agressif et très difficile à bouger. Que ce soit tactiquement, techniquement et même à la construction, il est très fort. Il n’a pas vraiment de point faible. Il dispose même d’une très grosse frappe de balle que l’on n’a pas encore beaucoup vu parce que son rôle est justement de rester en place pour l’équilibre de l’équipe » martèle Zakaria Diallo.
En passe d’être enfin reconnu à sa juste valeur, Cheick Doucouré ne fait aujourd’hui que récolter le fruit de son travail. Cette saison, le Racing remporte 45% de ses matchs lorsqu’il est là contre 33% le reste du temps. À Nantes en décembre (défaite 3-2), son absence s’est clairement fait ressentir. En grande difficulté sur les transitions défensives, les Lensois ont également été moins inspirés au moment de créer sans leur numéro 28. Car s’il excelle à la récupération et dans les tâches défensives, Cheick Doucouré est bien plus qu’un milieu défensif strict. Très à l’aise techniquement, l’international malien n’est pas en reste au moment de casser les rideaux défensifs adverses, que ce soit par la conduite de balle ou par la passe. De quoi susciter l’admiration de son jumeau de l’entrejeu, Seko Fofana. « Cheick sait tout faire sur un terrain. Il travaille dans l’ombre et pour moi, il est très important. Il est incroyablement complet. C’est l’un des meilleurs joueurs avec qui j’ai joué. Il sait tirer de loin, passer, casser les lignes, dribbler, défendre. Il ne ressent pas la pression adverse. Je prends énormément de plaisir avec lui. Sur un regard, on se comprend, pas besoin de se parler, il existe une vraie complicité entre nous » déclarait le capitaine lensois dans les colonnes de la Voix du Nord dernièrement.
Quel avenir ?
Naturellement, la question de l’avenir de Cheick Doucouré se pose. Déjà parmi les meilleurs milieux de terrain de l’Hexagone, le jeune malien pourrait être tenté d’aller voir ailleurs dès cet été si le RC Lens ne parvient pas à décrocher son ticket pour une Coupe d’Europe. « Il a tout pour aller tout en haut. Reste à gommer ses quelques petites sautes de concentration mais cela viendra avec le temps. Des fois, cela lui arrive de perdre le ballon parce qu’il se laisse un peu trop aller. Il est encore très jeune, c’est normal, ça arrive souvent aux joueurs avec beaucoup de talent. C’est pareil pour Saliba à l’OM. C’est propre à la France. On a la meilleure formation et les meilleurs joueurs mais les mecs sont tellement à l’aise techniquement qu’ils se laissent parfois aller. Ce sont des choses que l’on ne voit pas en Angleterre ou en Allemagne car les mecs sont toujours à fond. Nous, il faut nous faire bosser (rires) » explique Zakaria Diallo avant de conclure sur la destination rêvée de son ancien partenaire. « Il adore la Premier League. On en parlait souvent dans le vestiaire. Il en rêve et est clairement fait pour ça. Cet été, Tottenham a approché sérieusement le club et son agent. Finalement, Lens a fermé la porte. Ils n’ont pas besoin d’argent et savent qu’ils le vendront encore plus cher à l’avenir. « Douc » était déçu mais ce n’est pas du tout le genre à aller au clash pour partir. Il est resté sagement à sa place et sait que ce n’est que partie remise. » Une chose est sûre, au vu de la mentalité et du talent dont dispose le gamin, rêver d’un destin à la Yaya Touré n’est pas déconnant, loin de là.
Source www.madeinfoot.ouest-france.fr