Article de Antoine Chirat pour Onze Mondial
Formateur hors pair, Jean-Marc Guillou a égrainé sa connaissance du football à travers les quatre coins du continent africain après sa carrière. Ayant vu la génération dorée ivoirienne éclore, il revient avec passion sur cette période, mais aussi sur le football africain, la formation des joueurs, l’Algérie … Entretien.
Tout d’abord, comment allez-vous ?
Je vais pas mal. Je suis en France, bientôt de retour en Afrique, je ne vais pas tarder à retourner à Abidjan.
Pour le programme C-Jeune ?
Malheureusement, pas vraiment. Depuis que Sidy Diallo est mort (l’ancien président de la Fédération ivoirienne de Football, qui lui avait demandé de trouver un projet pour relancer le football local, Ndlr), le programme s’est arrêté. La nouvelle élection doit arriver, et l’on verra à ce moment-là comment cela va se dérouler.
Quelles sont les positions des candidats à ce sujet ?
Pour le moment, il y a trois candidats : Didier Drogba, Sory Diabaté et Idriss Diallo. Pour autant, l’élection n’a pas pu se faire. La commission qui devait valider les candidatures a tout d’abord invalidé Drogba, car il n’avait pas respecté les procédures de candidatures. Il manquait des documents, comme le soutien de certaines structures. Cela a produit un « ramdam » de la part des supporters de Drogba et ça a mis la pression sur le président censé valider la candidature. Ça a créé un gros bazar. Le président a finalement sauté. Drogba a saisi la FIFA, et depuis, rien ne bouge. On a entendu que la FIFA allait elle-même désigner une commission pour gérer la fédération, ce qui dénouerait ce gros noeud basé sur les validations des candidatures.
« Tout a été mal fait ! »
Et le problème persiste encore ?
Oui. Tout est arrêté, on ne sait pas qui sera le futur président. Le football est stoppé, c’est un peu la « merde », si vous me permettez l’expression.
Ça influe donc directement sur le football ivoirien en ce moment ?
Oui complètement ! Le football subit cette absence de match, rien ne se passe. Le championnat n’a même pas commencé. Le programme « C-Jeune », on ne sait pas sur quel pied danser. Mais en même temps, la Covid-19 nous embête aussi. Je ne sais pas si on pourra être autorisé à rassembler 500 ou 600 jeunes sur un espace. Je pense qu’on doit raisonnablement attendre que les gens se vaccinent pour aller de l’avant, mais bon, avec variants, on se demande si on va s’en sortir. Je me dis que si l’Europe s’en sort, l’Afrique s’en sortira dans la foulée.
Vous êtes un des plus fins connaisseurs du football ivoirien. Comment l’avez-vous vu évoluer depuis votre arrivée en 1994 ?
C’est surtout depuis 2001 et l’éclosion de la première génération. Elle a démontré qu’il y a avait beaucoup de talents en Cote d’Ivoire ! C’est aussi le cas dans d’autres pays d’Afrique. La Côte d’Ivoire n’a pas le monopole du talent. L’âge d’or (il se reprend, Ndlr), l’âge qui aurait dû être d’or où l’équipe nationale aurait dû gagner quatre ou cinq Coupe d’Afrique, au moins arriver en finale, ça n’a jamais été le cas. Il y a eu une seule victoire et encore, c’était aux penaltys. Les dirigeants ont très mal géré. C’était de la confiture donnée à des cochons.
Même en Coupe du Monde !
Non, jamais ! Si comme moi, vous avez vu tous les matchs de ces gamins, puis ces jeunes hommes, puis ces adultes … tu te dis « putain, on avait une équipe pour gagner la Coupe du Monde ». Ça n’a jamais existé, pourquoi ? Car tout a été mal fait ! Ça changeait d’entraîneur tous les deux ans. Les entraîneurs ne connaissaient pas tous les joueurs. Par exemple, quand Sven-Göran Eriksson est venu, il est parachuté comme ça. Ce n’est pas lui qui a fait l’équipe au début. En tout cas, il n’a pas toujours fait l’équipe. C’était peut-être les dirigeants qui disaient « lui, il faut le faire jouer, lui aussi », c’est n’importe quoi.
On a souvent parlé du grand nombre d’attaquants présents !
Oui. Déjà, dans la liste, il y avait toujours six attaquants, au moins. Un était sûr de jouer : Drogba. Même avec le bras cassé, et c’est arrivé, il jouait. Dans le milieu, il n’y avait que quatre joueurs. Derrière, tu avais 6 joueurs pour quatre postes. C’était n’importe quoi. Il y avait certes des bons attaquants, mais tu ne peux pas en prendre six. Évidemment, tu avais un milieu pas à la hauteur, même s’il y avait du talent. Je pense à Yaya Touré et Didier Zokora, qui jouait derrière finalement. C’était un âge d’or qui méritait beaucoup plus de trophées.
« On jouait comme joue aujourd’hui les meilleures équipes du monde »
D’autres équipes africaines ont depuis préformé en Coupe du Monde !
Oui, il fallait au moins sortir les poules. Regardez le Ghana l’a fait, alors que la Côte d’Ivoire avait une meilleure équipe.
Voir cette génération dorée éclore, mais ne pas s’imposer, c’est à la fois une fierté et une frustration ?
Exactement. En plus de ça, je leur ai proposé, quand ils ont pris Eriksson, d’être l’entraîneur. Je leur ai même dit : « Vous ne payez pas pour l’instant. Vous me payez que si on sort des poules ». Par contre, si on sort, j’aurais été bien payé. Et ils ne m’ont pas pris. Dans ces cas-là, les discussions terminaient devant le Président Laurent Gbagbo ! Au moins, je me suis proposé. Aujourd’hui, je critique, mais je critique en ayant proposé quelque chose. Pour moi, les dirigeants de l’époque sont les coupables. Comme on dit, face à un problème, certains cherchent les coupables, d’autres les solutions. L’idéal, c’est définir les coupables, et chercher les solutions pour qu’ils ne puissent plus entraver la bonne marche d’un groupe.
Et quel groupe en plus !
Vous savez, un groupe de footballeurs qui viennent de différents clubs, c’est difficile. Mais là, quand le groupe est issu d’un même club, comme c’était le cas en 1958 avec Reims et les Bleus, c’est plus facile. Le groupe existe déjà. C’était pareil pour la Côte d’Ivoire. Il y avait une philosophie de jeu, mais elle s’effilochait au fil des matchs. À l’époque, on jouait comme joue aujourd’hui les meilleures équipes du monde : partir de derrière avec un gardien qui a un très bon jeu au pied. On avait le ballon. Mais pour avoir le ballon, il faut un bon milieu, et là, il était trop faible. Pourquoi ? Parce qu’il y avait trop d’attaquants.
C’est donc surtout de la frustration ?
Oui et non. Je me suis proposé, ils n’ont pas voulu. Tant pis pour eux. Dommage pour la Cote d’Ivoire, car je pense qu’on aurait pu sortir des poules.
« Ces promotions en Algérie sont très bonnes »
Vous avez toujours eu cette réputation de formateur. C’est quelque chose qui a toujours été en vous ?
Oui, même très tôt. Quand j’étais semi-pro, je faisais des entraînements avec les jeunes à côté d’Angers. J’y allais une fois par semaine. Ces gamins s’en sont souvenus après. Ils ont joué longtemps ensemble et ont eu de bons résultats. J’ai toujours aimé jouer avec les jeunes. C’est là où les joueurs sont le plus naturels. Ils jouent pour le jeu. Je le vois dans toutes les académies.
Dès quel âge ?
C’est important d’intervenir entre 10 et 15 ans. On doit faire un gros travail technique à ce moment. Pourquoi ? Ça leur fait découvrir que le foot est un jeu, mais qu’il faut travailler pour être le meilleur dans le jeu. C’est pareil pour les échecs, et les autres activités de la vie. Quand on arrive à faire s’apercevoir aux gamins qu’avec ce travail, on s’améliore, on est sur la bonne voie.
La Côte d’Ivoire reste toujours un des plus beaux viviers du football africain ?
Oui, mais je pense aussi à l’Algérie. On y est allé (avec le club Paradou, Ndlr) et on a trouvé beaucoup de bons joueurs ! Je pense à Hichem Boudaoui qui joue à l’OGC Nice par exemple. Ces promotions en Algérie sont très bonnes.
Le football algérien est-il le meilleur d’Afrique ?
Oui, je le pense. En plus, ils ont un entraîneur qui connaît par coeur la sélection, qui a déjà été joueur, Djamel Belmadi. C’est très important. Il a un super groupe, rien que Riyad Mahrez qui joue à Manchester City. Il y a un énorme potentiel en Algérie.
Comment doit se dérouler la formation selon vous ?
Il faut éviter les « financiers ». On préfère se financer nous-mêmes. Quand on s’autofinance, on se rend compte que notre réussite au niveau des transferts est quatre à cinq fois plus grande. Les financiers ne savent pas comment promouvoir un joueur. Quand on transfère un joueur, on veut que le club soit content, que le joueur soit content du club. On est surtout intéressé par la réussite du joueur. À partir du moment où il est à nouveau transféré et que le club fait un gain, on récupère aussi une partie. Alors que quand on croit en un joueur, et qu’on le place gratuitement, la plupart du temps, il ne réussit pas. L’entraîneur se dit souvent « je préfère aligner un joueur que j’ai payé, plutôt qu’un gratuit ». Le prix du transfert peut-être un boulet pour le joueur, mais c’est aussi l’assurance de joueur en cas de gros prix. C’est triste.