À l’occasion du centenaire d’Angers Sco, ce jeudi 10 octobre 2019, Pierre Bourdel, joueur le plus capé de l’histoire du club (477 matches), a ouvert la boîte à souvenirs. Il se confie, sans détour, et se rappelle des moments marquants de son passage en Anjou, de 1963 à 1975. Les demi-finales de Coupe de France, le génie de Jean-Marc Guillou, les fessées infligées aux Marseillais et celle reçue de la part des Lyonnais,… tout y passe.
Entretien
Pierre Bourdel, 81 ans, ancien défenseur et capitaine d’Angers Sco (1963 à 1975).
Dans l’histoire du Sco, Pierre Bourdel occupe une place de choix. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 12 saisons en Anjou, il a disputé 477 rencontres (12 buts) avec le maillot des Noir et Blanc. C’est le joueur le plus capé du club angevin. Tout simplement. Alors, pour le centenaire du Sco, l’ancien défenseur s’est replongé dans ses souvenirs, tristes et heureux, caustiques et touchants. Angers et le Sco, une cité et un club qui l’ont marqué à vie. « Angers, c’est ma ville d’adoption », revendique le natif d’Assignan (Hérault). À 81 ans, son amour pour le maillot Noir et Blanc reste intact.
Quel est votre premier souvenir du Sco ?
Lorsque je jouais à Béziers, à la fin des années 1950, j’étais allé voir le Sco à Montpellier. J’avais remarqué que le jeu des Angevins était technique, peut-être moins efficace, mais plus jolie à voir que celui des Montpelliérains. Et le public avait aimé ça, cette beauté du geste. Cela m’avait donné une bonne impression.
Votre premier souvenir d’Angers ?
Lorsque j’ai signé au Sco, je me suis trompé de train pour venir à Angers. J’étais au bataillon de Joinville (Haute-Marne) et au lieu de partir à Montparnasse, je suis allé à Austerlitz. Le trajet était interminable… On s’est arrêté dans plein de petites gares. Je me suis dit que c’était peut-être un mauvais signe. Mais finalement non (il rit).
Votre première impression en arrivant à Angers ?
Pour moi, c’était le paradis. J’ai eu la chance d’acheter une maison avenue Jeanne-d’Arc. J’adorais traverser le jardin du Mail. Récemment, un ami m’a envoyé une photo de l’avenue de Jeanne-d’Arc. Ils ont enlevé les arbres. Ils ont fait quelque chose de formidable. C’est encore plus beau que lorsque j’y habitais. J’aimerais bien y remonter une fois, mais je ne sais pas si je pourrai…
« On était leur bête noire sur cette saison »
Votre plus beau souvenir de footballeur ?
Lorsque j’ai été sélectionné avec l’équipe de France B face à la Hongrie. Moi qui ai démarré en dernière division de l’Hérault. Je n’aurais jamais cru pouvoir me retrouver à ce niveau-là. Just Fontaine m’avait ensuite appelé avec les A. Mais je n’étais pas entré en jeu. Les changements étaient rares à l’époque. J’étais heureux de connaître l’environnement de l’équipe de France. C’était une consécration pour moi.
Votre plus beau souvenir avec le Sco ?
Il y en a tellement. Peut-être le match de Coupe de France, face à Marseille (12 février 1967), au Parc des Princes, (à l’époque les rencontres de coupe se disputaient sur terrain neutre). On leur a mis 5 à 0. Ensuite, en championnat, les Marseillais sont venus à Angers, on leur met encore 5 à 0. Au match retour, au Vélodrome, ils ont mis deux défenseurs centraux. À l’époque les équipes n’en mettaient qu’un. On était leur bête noire sur cette saison. Deux fois 5 à 0, ça faisait beaucoup pour eux.
Le plus douloureux ?
Sans aucun doute, notre défaite 8 à 0 à Lyon (le 2 septembre 1967). On n’était pas du tout dans le coup. Eux, ils étaient en pleine réussite. Pourtant, on était en tête du championnat après trois journées. On aurait dit que nos jambes n’avançaient pas. Au contraire, les Lyonnais tiraient n’importe comment et leurs frappes rentraient. On avait pris un gros carton. On s’est vengé plusieurs fois par la suite contre eux. On était vexé de prendre une branlée comme celle-là. Elle nous a marqués.
Votre plus grand regret ?
De ne pas avoir disputé de finale de Coupe de France avec le Sco. J’ai disputé deux demi-finales (1965-1966 et 1968-1969). À l’époque cela se disputait sur des matches aller-retour. Face à Marseille (1968-1969), on aurait largement pu gagner chez nous, mais on fait 0 à 0. Et au retour, les Marseillais ont inscrit le but de la victoire, sur corner, en toute fin de rencontre. On était tellement prêt de la finale, ça fait mal. Plus que si on se fait éliminer dès les premiers tours.
Votre saison la plus marquante ?
Celle de 1971-1972. Lors du dernier match de championnat, on s’est qualifiés pour la Coupe d’Europe. C’était inespéré. Les Lyonnais étaient devant nous au classement, et ils perdent contre un adversaire plus faible. Alors que nous, on est allé gagner à l’extérieur. Se qualifier en Coupe d’Europe, pour le Sco, c’était quelque chose de faramineux. On était une équipe moyenne du championnat. Ce n’était pas prévu qu’on finisse aussi haut. On n’a pas eu beaucoup de blessés. Tout s’est bien enchaîné lors de cette saison.
L’anecdote que vous n’avez jamais révélée jusqu’à présent ?
Lorsque nos matches étaient télévisés et que le temps était maussade, les représentants d’Adidas, notre équipementier, revenaient dans les vestiaires, à la mi-temps pour repeindre les trois bandes sur les chaussures, pour qu’elles soient bien perceptibles pour les téléspectateurs. Cela m’avait marqué. Je me suis dit : « Comment c’est possible ? «
Quel est votre but le plus marquant ?
Celui contre Monaco, de la tête. En moyenne j’en marquais un par an. J’aimais bien monter sur les corners même si je n’avais pas forcément le droit. Je me souviens avoir mis une reprise de volée à l’entrée de la surface de réparation à Ivan Curkovic, le gardien de Saint-Etienne.
« Jean-Marc Guillou avait de la colle sur les pieds »
Quel coéquipier vous a le plus impressionné ?
Le plus technique, c’était Jean-Marc Guillou. Incontestablement. Même à l’entraînement on ne parvenait pas à lui prendre le ballon. Pourtant on le connaissait. Il n’y avait rien à faire. Il avait de la colle sur les pieds. Il a marqué des buts fabuleux. Il a réussi à faire se lever Jean-Bouin. Et c’était très rare. J’ai rarement vu un joueur aussi fort. En tant que capitaine, je disais à mes coéquipiers : » Si vous ne savez pas quoi faire du ballon, donnez-le à Jean-Marc. Lui, il sait quoi en faire. »
Avec quel partenaire vous étiez le plus proche ?
Jacques Mouilleron. Il venait de Limoges, en tant qu’avant-centre. Finalement, il a joué stoppeur avec nous. Il avait pour mission de marquer l’attaquant adverse. Et ce n’était pas de la tarte pour son vis-à-vis. Dès que son adversaire avait le ballon, il lui tombait dessus. Je lui avais dit de calmer son jeu dans nos 18 m sinon on aurait concédé un nombre incalculable de penalties. En marquage individuel, c’est l’un des meilleurs joueurs que j’ai connus. On se retrouvait en dehors du terrain. On avait les mêmes idées.
L’entraîneur le plus passionnant que vous avez côtoyé ?
Louis Hon (entraîneur lors de la saison 1968-1969, il fait remonter le club en première division) était un joueur de poker. Il était brut de décoffrage et très taiseux. Je me souviens d’un match de Coupe de France face à Gueugnon, une équipe de troisième division. Au tour précédent on avait battu Lyon difficilement. Sur le tableau, à l’entrée des vestiaires, il avait inscrit : « Gueugnon c’est Lyon ». Et finalement, on les a battus très difficilement. Une autre fois, à Grenoble, il avait écrit : « Combien on leur met aujourd’hui ? » Et il ne disait rien d’autre. Il donnait confiance à son équipe avec une seule phrase.
Quelle image gardez vous d’Angers ?
Le public d’Angers m’a changé par rapport à ce que j’avais connu auparavant. Il était très connaisseur. Il savait apprécier les beaux gestes, les belles actions. J’ai été frappé par cela. Dans le Sud, le public était plus exubérant. Lorsque je suis arrivé, j’étais sanguin. Mais rester à Angers, cela m’a assagi. Je me suis mis dans le moule angevin. J’ai passé 30 ans magnifiques à Angers. Au bout de 12 saisons, je me disais : « Tout le monde doit en avoir marre de voir ta tête. Il est temps de partir. » Angers c’est ma ville d’adoption. Ce sont les meilleurs souvenirs de ma vie.
source www.ouest-france.fr