EXCLU GOAL – C’est avec une grande sincérité, et beaucoup de naturel, que Gervinho (31 ans) s’est confié à Goal. Blessé depuis le déplacement à Milan au début du mois, l’attaquant ivoirien a pris plus d’une demi-heure de son temps pour répondre à nos questions. Un échange riche en souvenirs au cours duquel il n’a esquivé aucun sujet, à commencer par son actualité avec Parme qu’il a rejoint l’été dernier après deux ans et demi en Chine.
Vous avez été élu meilleur joueur du mois de novembre en Serie A. Qu’est-ce que ce trophée représente pour vous ?
Gervinho : Ça fait toujours plaisir de recevoir des trophées individuels. Je suis content parce que ça n’a pas tout le temps été facile. Un gros travail a été fait. Je suis resté moi-même et j’ai travaillé dans l’ombre pour répondre aux attentes. Ce n’est pas une revanche, je devais juste montrer que mon niveau restait le même.
Comment avez-vous pris les critiques de certains observateurs qui ne comprenaient pas votre retour en Italie ? Qu’avez-vous à répondre aux personnes qui vous disaient cramé ?
Sincèrement, je ne regarde pas ce qui se dit à droite, à gauche. Je reste concentré sur mes performances. Le plus important, c’est ce qui se passe sur le terrain. Pour moi, c’est là que tu peux apporter la meilleure réponse. C’est sur le terrain que tu donnes raison à ceux qui croient en toi.
Au fond de vous, de toute façon, il était clair que vous aviez encore les jambes pour jouer en Serie A.
Je n’ai aucun doute sur mes capacités, j’ai confiance en moi, je connais mes qualités. Avec mon équipe, on sait ce dont on est capable et c’est le plus important.
Ce qui a pu étonner certains, c’est le fait que vous quittiez la Chine pour revenir en Europe. Pourquoi ce choix ?
Il était temps de revenir, je pense. J’ai quand même passé deux ans et demi en Chine. Je voulais prendre encore du plaisir, continuer à jouer dans une ambiance qui me plait. J’aime beaucoup l’ambiance du football italien et je pense que j’avais encore des choses à faire ici. La suite, on ne la connait pas, mais j’espère rester à ce niveau encore quelques temps.
Que retenez-vous de votre expérience en Chine et que pensez-vous globalement du football là-bas ?
Je garde un bon souvenir de mon passage en Chine. C’était une belle expérience pour moi. J’ai appris beaucoup de choses. Je souhaite que le football chinois évolue encore, qu’ils aient la chance de prendre d’autres joueurs pour développer le championnat. Nous, on a fait notre part de boulot en apportant ce qu’on avait à apporter au football chinois. C’est un pays qui m’a aussi beaucoup aidé dans d’autres circonstances, je lui souhaiterai toujours le meilleur.
Sans rentrer dans les détails, on imagine que vous gagnez moins d’argent à Parme. Ce n’est donc pas un choix financier que vous avez fait l’été dernier.
C’est un vrai choix sportif. Je ne voulais pas revenir pour prendre de l’argent. C’est vraiment la notion de plaisir, pour m’amuser et jouer libéré qui était importante. Je ne me plains pas, je suis bien et j’ai tout ce dont j’ai besoin pour m’exprimer.
« Parme a cru en moi, je savais que pourrai jouer libéré »
Parme est un club historique en Italie. Comment est-il parvenu à vous séduire ?
C’est un club historique, certes, mais le challenge n’est pas si facile. Parme revient de loin. C’est un club qui n’a pas les moyens de l’époque. C’était difficile de recruter l’été dernier. Ils ont fait beaucoup de prêts. Aujourd’hui, l’objectif c’est de se maintenir en Serie A, mais je me suis dit aussi que c’était un club où je pourrai m’exprimer tranquillement. C’est un club qui a cru en moi, qui a manifesté son envie de me récupérer pour me mettre au premier plan de son projet.
Ça vous a sûrement rassuré aussi de voir qu’on ne vous avait pas oublié malgré votre départ en Chine, dans un championnat moins médiatisé.
Voilà pourquoi j’ai fait le choix de Parme. Ils ont vu ce que j’étais capable de faire à l’AS Roma et ils se sont dits que je pourrais apporter à l’équipe. De mon côté, je savais que ce serait difficile de faire la même chose qu’à l’AS Roma, mais j’étais sûr de pouvoir apporter quelque chose avec mon expérience aussi. Le travail n’est pas fini, mais il est bien parti, et si à la fin de la saison on se maintient avec Parme, je pourrais dire que c’est une réussite.
Pensez-vous qu’un club comme Parme pourra retrouver les sommets en Serie A à plus ou moins long terme ?
Pour l’instant, ça va être compliqué. Il y a un gros boulot à faire ici. Déjà, il faudrait que le club reste en Serie A plusieurs années de suite. C’est mon souhait, parce que je fais partie du projet. Maintenant, il y a aussi beaucoup de grands clubs en Serie A. La concurrence est forte et ça demandera du temps.
Aujourd’hui encore, la Juventus écrase le championnat. Pensez-vous vraiment que le titre pourra leur échapper en fin de saison ?
La Juventus est au-dessus des autres équipes. Elle s’appuie sur une certaine stabilité en ne recrutant qu’un ou deux joueurs au mercato. L’équipe, les dirigeants et l’entraîneur restent les mêmes. Il y a une certaine cohésion qu’on n’a pas forcément ailleurs. Quand on voit l’effectif de l’AS Roma, par exemple, il y a eu beaucoup d’arrivées. Il faut un temps d’adaptation, ça met le club en difficulté. C’est un problème que la Juventus n’a pas.
D’un point de vue personnel, on vous retrouve beaucoup plus dans l’axe du terrain qu’à une époque. Comment avez-vous fait évoluer votre jeu ?
Chaque équipe a sa façon de jouer. L’expérience rentre aussi en ligne de compte. Aujourd’hui, c’est vrai que j’essaye souvent de me retrouver dans l’axe. Le coach me demande d’être devant le but, d’être plus dangereux quand je me retourne. Il essaye de tout faire pour que je sois libre de bouger et que je me retrouve dans la surface.
Et ça paye, puisque vous avez marqué 5 fois en 10 matches de Serie A. Vous êtes-vous fixé un objectif chiffré pour la suite ?
Ce n’est pas forcément le nombre de buts qui compte à la fin de la saison. Si j’avais réalisé trois ou quatre passes décisives et que je n’avais marqué que deux buts, je serais encore dans un bon état d’esprit. Mon objectif est que Parme prenne le plus de points possibles. L’équipe est toujours au-dessus de l’individualité.
« Francesco Totti, pour moi, c’est le n°1. C’est une légende »
On parle de buts, et tout récemment une légende ivoirienne Didier Drogba a pris sa retraite. Quel héritage va-t-il laisser dans le monde du foot ?
Didier a un style de jeu différent des autres. Il est unique. Il a laissé une bonne impression en France ou en Angleterre. En Côte d’Ivoire, je n’en parle pas. C’est quelqu’un qui nous a beaucoup apporté. Il a été un exemple pour beaucoup de jeunes. On est content de ce qu’il nous a appris, de ce qu’il a apporté au football ivoirien. On est content de l’image qu’il a donné de la Côte d’Ivoire dans les différents championnats par lesquels il est passé. C’est quelqu’un qui va beaucoup manquer au football, à l’échelle européenne, africaine et même mondiale. On doit lui tirer notre chapeau pour sa carrière.
Où se situe Didier Drogba dans la hiérarchie des grands joueurs que vous avez côtoyés ?
J’ai eu la chance de jouer avec pas mal de grands joueurs, dans de grands clubs. Il fait partie de ces joueurs qui m’ont marqué, mais le n°1 pour moi ça reste Francesco Totti. C’était un joueur tellement spécial. Il voyait avant les autres. Il faut vivre avec lui pour le comprendre. C’est une légende.
On a pu s’en rendre compte lors de ses adieux en fin de saison dernière, avec toutes les larmes versées par les fans de l’AS Roma.
Il faut être en Italie, et même à Rome, pour savoir qui est vraiment Francesco Totti. J’ai eu la chance de jouer avec lui pendant deux ans et demi. J’ai pris du plaisir à ses côtés, il m’a régalé. On s’est amusés. En dehors du terrain, c’est quelqu’un de simple, qui ne parle pas beaucoup. Je n’imaginais pas pouvoir jouer un jour avec Francesco Totti. Il m’a motivé à jouer avec lui et c’était tout simplement fabuleux.
L’année prochaine se profile la CAN 2019. Envisagez-vous de la jouer ou pensez-vous à votre retraite internationale ?
(Rires) Non. Je ne pense pas encore à ma retraite internationale. Il fallait un temps d’adaptation avec mon nouveau club. Je devais d’abord m’acclimater à Parme. Je pense pouvoir encore apporter à l’équipe nationale, d’autant que je suis toujours fier de porter ces couleurs. Porter ce maillot est important pour moi. Le football ivoirien et l’équipe nationale représentent beaucoup. Je suis content que la Côte d’Ivoire soit qualifiée pour la CAN. J’espère qu’on y fera bonne figure.
Imaginez-vous une génération capable de reprendre le flambeau à la même échelle que la génération Drogba, Gervinho et d’autres dans le futur ?
Je ne pense pas que la Côte d’Ivoire pourra un jour avoir une aussi belle génération. Pour moi, c’était une génération dorée. Si un jour la Côte d’Ivoire arrive à avoir une aussi belle équipe, on pourra être sacrément fiers. Ce ne serait pas un miracle, mais aujourd’hui je n’imagine pas qu’on puisse revoir ça un jour, même si on a de bons jeunes joueurs qui arrivent. J’espère qu’ils pourront prendre la relève et surtout qu’ils auront conscience de l’importance de défendre les couleurs de notre pays.
Parmi les espoirs du football ivoirien, on a Fonsinho, votre petit frère, qui joue un peu dans le même registre que vous. Peut-il être le nouveau Gervinho ?
Il n’y a qu’un seul Gervinho dans le monde. (Rires) Après, il peut essayer de copier ou avoir son propre style. Parfois, il en fait un peu trop je trouve, et si je devais lui donner un conseil, ce serait qu’il se concentre sur son propre style. Quand on a un grand frère, on a envie de le copier un petit peu, c’est normal. Aujourd’hui, il a la chance d’avoir quelqu’un à ses côtés pour le conseiller et c’est quelque chose de précieux.
Quand vous jetez un œil dans le rétro, et même si votre carrière est loin d’être terminée, quel regard jetez-vous sur votre parcours ?
Je suis fier de tout ce que j’ai vécu, des pays que j’ai traversés, des clubs dans lesquels j’ai évolué. Partout où je suis passé, j’ai toujours fait partie des joueurs clés. J’ai toujours apporté quelque chose. Et là d’où je viens, je ne pensais pas du tout en arriver là. Quand je jette un œil dans le rétro, je suis vraiment satisfait de ma carrière. Elle n’est pas encore terminée, mais je suis tellement fier. C’est pour ça aussi que je suis tranquille aujourd’hui. J’ai connu tellement de choses, avec de grands joueurs, que je ne vois pas ce qui pourrait m’impressionner. Plus jeune, je n’aurais pas réagi comme ça, mais maintenant c’est autre chose. Dieu m’a accordé sa Grâce.
« Entre Rudi Garcia et moi, c’est comme un père et un fils »
Jouer à Arsenal, par exemple, a été moment énorme pour vous. Qu’est-ce que vous avez ressenti en réalisant ce rêve ?
Beaucoup de jeunes joueurs vous disent qu’ils veulent jouer à Manchester ou Arsenal. Moi, mon rêve, c’était de jouer à Arsenal et je l’ai réalisé. Quand je suis arrivé, je me suis dit « wow, je suis donc là ». Chacun de mes clubs m’a marqué, mais Arsenal c’était particulier. Quand le manager [Arsène Wenger] m’a appellé pour me dire qu’il aimerait que je vienne dans son club, je pense que vous n’imaginez pas la satisfaction que j’ai ressenti juste après avoir raccroché le téléphone.
La question qu’on se pose, c’est pourquoi Arsenal ?
À l’époque, Arsenal avait une histoire. Il a toujours une histoire d’ailleurs. C’est un club qui faisait rêver pas mal de jeunes, avec un style bien à lui et un coach Arsène Wenger qui a mis toute l’Angleterre à ses pieds. Il n’y avait pas un joueur qui n’aimait pas regarder Arsenal, avec Thierry Henry, Patrick Vieira et d’autres.
Depuis, Arsène Wenger a quitté le club. Quels souvenirs garderez-vous de lui ?
Il restera l’un des grands Monsieur que j’ai côtoyé durant ma carrière. Il m’a appris beaucoup de choses. C’est quelqu’un à qui je dois beaucoup de respect. Il m’a permis de réaliser mon rêve, et a montré toute sa qualité de manager. C’est lui qui a fait d’Arsenal le club qu’il est aujourd’hui.
Un autre entraîneur français, aujourd’hui en Ligue 1, compte beaucoup pour vous. C’est Rudi Garcia. Votre départ de l’AS Roma était-il directement lié à son remplacement par Luciano Spalletti ?
Bien sûr. Quand il est parti, ça a précipité mon départ. Si je suis venu à la Roma, c’est grâce à lui. Il a facilité mon arrivée. Il a insisté, et j’étais le seul joueur qu’il voulait dans son effectif. Sans lui, je n’allais pas me sentir pareil. Il m’a beaucoup apporté. Ensuite, il y a eu la proposition de Chine. J’ai préféré partir en même temps que lui.
Comment décririez-vous cette relation entre vous et Rudi Garcia ?
J’ai fait trois clubs avec Rudi. Et pour qu’on se suive à chaque fois, c’est bien parce qu’on avait une relation forte, au boulot mais aussi en dehors du boulot. Entre Rudi et moi, c’est comme un père et un fils. C’est comme une famille.
Cette relation forte a nourri les fantasmes en France. On vous a souvent cité à l’OM avec Rudi Garcia. Vous a-t-il vraiment appelé pour le rejoindre ?
C’est surtout sorti au moment de son arrivée à Marseille [octobre 2016, ndlr]. Ça ne faisait que six mois que j’étais en Chine. C’était impossible, je pense, de le rejoindre à ce moment-là. Pour moi, en plus, ce n’était pas le bon moment pour quitter la Chine. Maintenant, est-ce que c’était vraiment ce qu’il voulait… Je ne sais pas (Rires).
Et vous revoir en France un jour, est-ce possible ?
Je reviens en France tout le temps. J’ai ma famille encore là-bas (Rires).
Aucune idée. Dans le football, comme je dis, on ne sait jamais. Là, je suis revenu en Italie. Mais je reviens souvent en France. J’ai toujours ma maison à Lille, ma famille est là-bas. Lille, vous savez, c’est mon club de cœur en France. Je suis toujours dans le Nord. Je suis Lillois.
Vous devez être satisfait de voir qu’ils sont dauphins du PSG aujourd’hui.
Je suis très content de les voir à cette place. Même s’ils nous ont fait peur la saison dernière, ils ont su garder le cap, avec un bon entraîneur [Christophe Galtier] et une très bonne base, en consolidant l’effectif avec deux ou trois recrues. Comme tous les supporters, je suis heureux de revoir notre Lille en haut du championnat comme il y a quelques années. Ça fait plaisir de voir cette équipe à ce niveau.
Propos recueillis par Benjamin Quarez