A 19 ans et dès sa deuxième année en Europe, le prometteur défenseur central, formé à l’académie de Jean-Marc Guillou en Côte d’Ivoire, n’a pas encore connu la défaite sur ses 20 rencontres en pro avec l’OL
« Bien suivre Sinaly Diomandé cette saison du côté de l’OL ! Attention sacré joueur ! » Le 19 septembre dernier, Sidney Govou écrivait ce tweet enflammé au sujet d’un discret défenseur ivoirien de 19 ans, qui venait de vivre ses débuts professionnels le jour précédent contre Nîmes (0-0). « Des joueurs lyonnais me parlent de lui depuis longtemps, précisait alors le septuple champion de France lyonnais à 20 Minutes. On m’en a dit tellement de bien, et à l’unanimité, que c’est forcément significatif : il va prendre sa place dans cette équipe ».
La suite lui a donné raison, puisque avant d’affronter Montpellier samedi (21 heures), Sinaly Diomandé compte déjà 20 apparitions en pro (dont 9 titularisations), avec un insolite statut de porte-bonheur (16 victoires et 4 nuls). Contrairement à ses coéquipiers Maxence Caqueret, Rayan Cherki et Melvin Bard, celui-ci n’est pas du tout un pur produit de la formation lyonnaise. Il y a quatre ans, le solide gaillard d’1,84 m commençait tout juste à pratiquer le football en club, au centre de formation All Stars d’Abidjan (Côte d’Ivoire).
« Il avait de grosses lacunes techniques »
« Il faut prendre en compte le contexte africain, où le football de jeunes n’est pas organisé, rappelle Vincent Dufour, directeur de la société JMG Football, où Sinaly Diomande a été accepté en septembre 2017. Dès qu’un enfant sait marcher, il joue au football. Mais il ne le fait pas dans une structure organisée qui déforme parfois plus le joueur qu’elle ne le forme. » A l’académie JMG de Djekanou (Côte d’Ivoire), celui qu’on surnomme « Ben » part de très loin.
« Il est arrivé trois ans après quasiment tous les joueurs de l’équipe et il avait de grosses lacunes techniques, souligne Adrien Gaignon, son entraîneur de 2017 à 2019. Il était déjà costaud, avec une très bonne détente, mais il lui a fallu combler son retard en découvrant vite nos méthodes. Il a donc eu droit à 45 minutes de jongles pieds nus à chaque séance, de la cuisse, du genou, de l’épaule, de partout. Sa progression s’est faite à vitesse grand V. » Au bout d’un an, Sinaly Diomande est alors prêt à s’imposer dans cette équipe JMG, non inscrite dans un championnat, mais capable de tenir tête chaque semaine à des équipes de 1re et de 2e division, ou encore à la sélection nationale ivoirienne U18.
L’académie interdit aux défenseurs de balancer devant
« On a vite compris qu’on avait affaire à un petit qui avait faim, raconte son ex-coéquipier Alidu Seidu, alors capitaine de l’académie de Djekanou. Il était tout le temps chaud pour apprendre et travailler, encore et encore. Aux entraînements, il s’amusait parfois à nous annoncer « Je suis Ramos », « Je suis van Dijk ». » A son rythme, Sinaly Diomandé devient le patron défensif de la jeune équipe ivoirienne. « Il faisait preuve de calme derrière, apprécie Adrien Gaignon. Comme on avait généralement plus de 70 % de possession de balle et qu’on interdisait les dégagements loin devant à tous les joueurs, il a vite progressé dans la relance. » Les prémices de sa passe déterminante, il y a deux semaines contre Bordeaux (2-1), qui a débouché sur le but miraculeux de Léo Dubois, se sont donc joués à 4.500 km de Décines.
Pour sa première opportunité de se montrer en Europe, du 20 au 22 avril 2019 à Saint-Joseph (Loire) lors d’un tournoi international U19, il ne se loupe pas face à l’AS Monaco, le Standard de Liège et l’Impact Montréal, avant de s’incliner en demi-finale contre Groningen (Pays-Bas). « On se doutait qu’il y aurait des recruteurs sur place, alors avec Sinaly, on s’est dit « frère, c’est notre chance », se souvient Alidu Seidu. Il a été très fort sur ce tournoi, il n’hésitait pas à dribbler les attaquants adverses. » Sa détente phénoménale crève également l’écran, comme l’explique Adrien Gaignon : « Les scouts de plusieurs clubs venaient me voir pour me dire « Votre défenseur ne saute pas, il vole ». »
Vincent Dufour dit : « Je ne voudrais pas être attaquant quand il défend en face. Il est déterminé et dans les airs, pas grand monde ne lui prend le ballon. Sa détente, c’est de la folie, il monte et surtout il reste tout là-haut. »
Florian Maurice sent le bon coup lors d’un match amical contre Andrézieux
Quelques jours après ce tournoi durant lequel il a impressionné le recruteur de l’OL Patrice Girard, il fait encore forte impression malgré la défaite (1-2) contre Andrézieux (National 2) en amical. « Ce coup-ci, Florian Maurice [alors responsable du recrutement à Lyon] était présent, glisse Adrien Gaignon. Il a vu comment Sinaly prenait tout de la tête, qu’il était dur à passer et qu’il relançait bien. Pour moi, c’était une évidence, il allait être pris par l’OL. »
Au total, dix joueurs de l’aventure JMG décrochent des essais en France. Sinaly Diomandé est officiellement transféré à Lyon, le 2 septembre 2019, depuis l’académie de Jean-Marc Guillou, via le club malien partenaire du Guidars FC, pour 550.000 euros (plus 2 M€ de bonus et un intéressement de 30 % de futurs transferts). Le latéral ghanéen Alidu Seidu (20 ans) rejoint dans le même temps Clermont, où il compte 17 matchs de Ligue 2 cette saison.
Coups de tête « à la Basile Boli » et coups francs de 35 mètres
Resté proche de son pote de Djekanou, celui-ci ne cache pas sa surprise au sujet de son éclatante éclosion, marquée par une récente prolongation de contrat jusqu’en 2025 à Lyon : « C’est allé trop trop vite pour « Ben ». Je me disais l’an passé que ça ne serait pas un problème pour lui de s’imposer avec l’équipe réserve [en National 2]. Mais de le faire dans la foulée en Ligue 1, là, c’est un truc de fou ! » Si Sinaly Diomande est clairement devenu numéro 3 dans la hiérarchie des défenseurs centraux derrière Jason Denayer (ex-académicien JMG lui aussi, de 2008 à 2012 en Belgique) et Marcelo, Rudi Garcia n’était pas convaincu qu’il puisse être numéro 4 avant le début de la saison, réclamant donc à sa direction un renfort à ce poste avant même le prêt de Joachim Andersen à Fulham
Après avoir alterné entre N2 (16 rencontres) et Youth League (6 matchs) en 2019-2020, Sinaly Diomandé est tellement bluffant, pour ses débuts dans l’élite, que son premier but en pro ne saurait tarder, à en croire ses proches. « Avec nous, il a mis quelques coups de tête à la Basile Boli », sourit ainsi Adrien Gaignon. Alidu Seidu révèle quant à lui la botte secrète du numéro 2 lyonnais : « Il a une très grosse frappe de loin, même à 35 mètres. Il suffit de le décaler, et si c’est cadré, ça fait forcément but. En Côte d’Ivoire, les défenseurs n’essayaient parfois même plus de contrer le ballon tellement ses tirs étaient trop puissants. Bon, là, il fait peut-être le timide en ne demandant pas à frapper, il y a Memphis Depay avant lui. Mais s’il le laisse en tenter un, le coach va kiffer. » Rudi, si tu nous lis…
De jeunes Ivoiriens « reboostés » par la réussite de Diomandé à l’OL
Depuis le 8 octobre et une rencontre amicale contre la Belgique (1-1), Sinaly Diomandé est aussi devenu international ivoirien (3 sélections au total). Etre appelé avec les Elephants lui a permis de devenir une véritable curiosité dans son pays. « Ses prestations ont déjà conduit à des comparaisons avec Eric Bailly [Manchester United], indique le responsable de l’influent compte Instagram Pépite 225 (28.000 abonnés), consacré aux talents ivoiriens. Il débarque de nulle part et son ascension est fulgurante. Il est le seul joueur actuel sorti de l’académie JMG en équipe nationale, et ça nous fait automatiquement penser à la génération de Kolo Touré. »
Son ami Daouda Sylla, joueur à Al-Shoalah (Arabie saoudite), l’a souvent affronté dans les catégories jeunes, lorsqu’il évoluait à l’OS Abobo. « Sinaly a toujours été un guerrier, confie le milieu de terrain de 24 ans. C’est quelqu’un de très timide dans la vie, mais une fois qu’il est en confiance sur le terrain, c’est fini, il réussit tout. Je connais beaucoup de jeunes joueurs ivoiriens qui s’étaient découragés du foot, et avaient abandonné leur rêve de devenir pro. Grâce à l’explosion de Sinaly, à l’OL et en équipe nationale, ça les a tous reboostés récemment. » Les ateliers de jongles pieds nus vont devenir tendance dans toute la Côte d’Ivoire.