Article de Mathieu Coureau publié le 11 septembre 2017 dans le site www.ouest-france
Portrait. Ramy Bensebaini, surdoué, élégant et fin technicien, a rapidement fait sa place dans le onze des Rouge et Noir. Et dire que cet Algérien de 21 ans n’est en Europe que depuis trois ans…
Dehors la lumière éclatante, ce ciel bleu sans rien. Dedans, Ramy Bensebaini. Il a la fraîcheur des soirées qui s’installent quand l’été se retire. Il a 21 ans, barbe naissante, des yeux qui tirent vers le clair. Il est beau, né dans l’une des plus anciennes cités du monde, à Constantine. Il ne dit pas « lol » ni « mort de rire » qui sont pourtant des mots usuels à son âge quand la vie déborde.
En fin d’après-midi, ce dimanche contre Caen, Ramy Bensebaini sera titulaire dans le onze Rouge et Noir, une habitude depuis le déplacement à Nice, lui qui ne devait pourtant pas l’être en début de saison, plutôt considéré comme un jeune défenseur central en devenir, un potentiel à polir au contact des Sylvain Armand, joueur le plus utilisé la saison dernière, ou encore Edson Mexer.
Les opportunités et les choix de Christian Gourcuff ont accéléré les choses. Son élégance balle au pied aussi, son aisance technique surtout. « Et son intelligence dans le jeu, ajoute l’entraîneur breton. Il a de la prestance, de l’assurance. Tout cela saute aux yeux. C’est une excellente pioche. »
« J’ai quitté mes parents à l’âge de 12 ans »
La tiédeur de Constantine, d’abord… Maman déléguée médicale, milieu modeste, papa entraîneur de football, papy ancien gardien de but international, oncles et cousins qui baignent aussi dans le milieu du ballon rond. Donc lui ne pense qu’à cela. On l’écoute : « À Constantine, poussin, tu partages un terrain avec six clubs. Il n’y a que deux ballons, pas de moyens. On faisait des passes, on jouait, on courait dans tous les sens… (silence)… J’ai plein de souvenirs en Algérie. Si on me demandait d’y passer sept ans de plus, j’y retournerais. »
Il se fait remarquer lors d’un stage de détection. Le club de Paradou le veut. « Hors de question pour ma mère… Un second stage et la persuasion de mon père ont fini par la faire accepter. Moi, je voulais y aller de toute façon. J’aimais le foot. On débattait. Pourquoi tu ne veux pas me laisser partir ? (sourire). »
Il part. Ramy Bensebaini, 12 ans, qui ne connaît rien ni personne, fait sa valise pour intégrer l’académie Jean-Marc Guillou de Paradou. « J’ai pris mes valises. Je suis monté dans la voiture avec mon père et ma mère. Triste de les quitter mais tellement heureux d’intégrer une académie de foot, même à 500 km de la maison. Arrivé là-bas, on a rencontré le président. Tu te sens seul pendant deux, trois heures, puis tu apprends à connaître les joueurs, les adjoints dont un qui était mon ancien entraîneur à Constantine, les cuisiniers. »
Pieds nus dans le sable
Le football n’est pas devenu une histoire sérieuse tout de suite. « Ça l’est devenu en deuxième année à l’académie. La première, je jouais juste comme ça. Et Olivier Guillou, le coach, m’a recadré, m’a dit qu’ici, ce n’était pas Constantine, que si je voulais y arriver, il y avait des consignes à suivre. Je n’étais pas le plus talentueux, loin de là, mais je voulais y arriver. Alors, pour la première fois de ma vie, je me suis mis à bosser. »
Au fil des ans, il passe de meneur de jeu à milieu de terrain puis défenseur axial, va, vit et devient. Il n’apprend que très tardivement à jouer avec des chaussures à crampons, aussi. « Oui, parce que les trois premières années là-bas, on joue pieds nus. Ils disent que c’est pour bien maîtriser, sentir le ballon. »
D’où ces quelques douleurs : « On affrontait parfois des mecs qui portaient des chaussures. On prenait des coups. Je peux vous dire que quand vous mettez des chaussures au bout de trois ans, non seulement ça fait trop mal, mais en plus on était nul. On les avait enlevées à la mi-temps. On n’en pouvait plus. »
La Ligue 1 n’occupe que très peu les discussions. « On était très branché sur le championnat algérien ou les quelques matches amicaux que l’on pouvait parfois faire contre Barcelone, Lyon ou Villarreal. »
Vous rêviez, Ramy ? « Trop (sourire)… Je voulais sortir de là-bas. Je voulais signer dans un bon club. » Les deux dernières années, il explose. « Pourquoi ? Je ne sais pas. C’était dans la tête, un déclic. Je voyais des potes partir, notamment au Paris FC. Je voulais que vienne mon tour. » Il devient le premier académicien à faire un essai à Arsenal (« Ils voulaient me garder, mais il y a eu des problèmes de papiers… »), puis à Porto (« Là, il y a eu un problème d’argent »), puis un entraînement à Nice. Ce sera la Belgique, finalement, Lierse. Au lieu du baccalauréat. Les bancs de l’école ne lui manqueront pas dit-il.
« C’est là. Il y a de la colère qui monte »
Le road movie commence. Rolland Courbis entraînait alors l’USM Alger. Sa voix de gorge : « Un de mes joueurs, Hocine El Orfi, formé au Paradou, m’avait cité le nom de Ramy. Quand je suis arrivé à Montpellier, je l’ai signalé et les chargés du recrutement sont allés l’observer avec Lierse. »
Il signe à Montpellier, joue même latéral gauche, toujours le numéro 15 dans le dos, celui qu’il portait au Paradou. Courbis devient Courbix, Gourcuff le suit toujours en coin. Le 12 juillet dernier, il débarque à Dinard où le groupe rennais effectue un stage. « Ça va vite tout ça, oui. Ce n’est que ma troisième année en Europe… »
Quels dangers peuvent le guetter dans son ascension ? Lui : « Les blessures. Pour le reste, je suis un garçon gentil, bien élevé, qui ne fait pas trop de bêtises. » Rolland Courbis en voit un autre : « Cette facilité qu’il a peut lui jouer des tours. Il doit gagner en régularité dans ses performances. Dans sa concentration avant les matches, il est indispensable qu’il programme ce danger. Au niveau du caractère, pour se disputer avec, il faut vraiment le faire exprès. Par contre, sur le terrain, il est parfois impulsif, dépasse les limites en étant trop gagneur, il me rappelle un peu Zizou. »
Ramy Bensebaini acquiesce : « Je ne suis plus le même sur le terrain, oui… On arrive au stade. On va sur la pelouse, on discute entre nous. Mais c’est là que ça se passe. Je débranche. On rentre dans le vestiaire. Je me change. Je ne suis déjà plus le même avant l’échauffement. Je deviens plus dur. Il y a de la colère qui monte, une sorte d’agressivité positive. C’est inexplicable et ça vient comme ça. Et quand ça ne se produit pas, je sais que le match va être compliqué (sourire)… »
Christian Gourcuff dit qu’ici, à Rennes, il est monté de deux crans dans l’impact physique, ce qui lui faisait défaut jusque-là. Ce fameux « Muscle ton jeu, Robert » dont on fait aujourd’hui des t-shirts… Voilà. Ce midi-là, à la Piverdière, le ciel était bleu sans rien, lointain, et Ramy Bensebaini souriait. Des vrais sourires.