Interview de Jean marc Guillou dans le journal le miroir du football le 10 janvier 1974
Jean-Marc Guillou, qui êtes-vous ? Comment êtes-vous devenu joueur professionnel ?
Jean-Marc Guillou : Je suis né à Bouaye dans la Loire-Atlantique.
J’ai vécu successivement dans des localités proches de là, à Paimboeuf, Couéron, Saint-Nazaire, où j’ai préparé mon CAP de chaudronnier et où j’ai appris à jouer au football en minimes, cadets, juniors.
Vous avez appris comment ? En suivant l’enseignement d’un entraîneur ?
JMG : Non, ce que j’ai appris, je l’ai fait en regardant des joueurs que j’admirais. Quand j’étais gosse, j’ai eu peu d’occasions de voir à l’œuvre des matches de pros. Ceux que j’admirais étaient donc plus proches de moi. L’un deux m’a beaucoup appris, non par la parole, mais par son exemple : Guessoum, qui avait joué en pros avec Nantes, qui m’avait impressionné quand j’étais cadet à Paimboeuf et que j’ai retrouvé dans l’équipe sénior du S.C. Saint-Nazaire où il était devenu joueur-entraîneur. Sa technique m’a beaucoup frappé : la balle lui collait aux pieds. J’ai essayé de l’imiter…
Ensuite ?
JMG : Ensuite au cours d’un match du S.C. Saint-Nazaire contre les amateurs du SCO Angers un dirigeant angevin m’a proposé de signer dans son club. J’avais 19 ans et demi et j’ai accepté. Tout gosse je rêvais de devenir footballeur professionnel. J’y pensais même tellement que j’avais acquis la certitude que j’y parviendrai.
Votre rêve était donc réalisé ?
JMG : Pas si vite. J’ai aujourd’hui 28 ans. Cela fait donc 8 ans et demi que je suis au SCO et il y a seulement quatre ans que je suis pro. Durant quatre ans et demi j’ai donc attendu. Au début de ma venue à Angers, j’ai même vachement douté que j’aurais un jour ma chance. Sur le plan matériel, je n’avais pas à me plaindre. J’étais payé pour jouer. J’ai fait mon service militaire dans de bonnes conditions. Ensuite, on m’a trouvé chez Bull une place d’agent technique dans la tôlerie. Mais le football je n’avais pas l’impression de progresser. Cette période a duré deux ans et je me disais que c’était cuit… Aujourd’hui quand j’y pense, je crois que cette période difficile a été très bénéfique pour moi, car les difficultés m’ont donné à réfléchir sur beaucoup de choses, et contribué à mûrir mon jugement.
Avez-vous songé à abandonner ?
JMG : Non, pas du tout, car dans cette équipe amateur d’Angers, j’avais du plaisir à jouer. Je commençais seulement à me résigner à ne pas progresser. Parmi mes coéquipiers, Serge Tulik avait fait quelques incursions dans l’équipe pro, Albert Poli, après un bref passage parmi nous, avait été rapidement promu titulaire Chevalier, un excellent joueur, était parti pour Nancy, où il ne s’imposait pas… Comme vous le savez, les promotions étaient rares. J’ai retrouvé un peu d’espoir au cours des dernières années en équipe amateur, quand je suis devenu stagiaire et que j’ai suivi l’entraînement des pros…
Parce que vous avez reçu de bons conseils ?
JMG : Non, parce que j’ai vu à l’œuvre quotidiennement des joueurs dont je pouvais m’inspirer pour progresser. Un peu comme Guessoum à mes débuts.
Quels joueurs vous ont ainsi beaucoup appris ?
JMG : Jean-Pierre Dogliani m’a impressionné par sa vision du jeu. Claude Dubaële m’a montré par son exemple qu’un joueur du milieu devait manifester activité et constance. Mais c’est peut-être Chlosta qui a eu l’influence la plus grande sur moi. Zygmund est un type sensationnel comme équipier et comme homme. C’était un arrière central difficile à passer -tous les attaquants français le savent- mais je ne l’ai jamais vu descendre un type. Il m’a appris que l’on pouvait jouer au football -et bien jouer- sans donner de coups…
C’est une conception du football bien différente de celle que certains défenseurs claironnent dans la Presse : le football c’est la guerre…
JMG : Oui sans doute, mais s’il y a des professionnels qui parlent et agissent de cette façon c’est qu’ils ne sont pas “libérés”…
Revenons à votre carrière au SCO…
JMG : Je vous disais que j’ai commencé à espérer quand j’ai senti que je progressais au contact des pros. J’ai compris aussi que je n’étais pas encore mûr pour être titulaire pour une raison très simple. Qu’aurais-je apporté à une équipe qui avait des joueurs du milieu de la valeur de Dogliani, …Deloffre, …Zenier, Dubaële, Poli ? Rien. Pour conquérir sa place dans une équipe, il faut apporter quelque chose dont elle a besoin. J’apportais une technique assez bonne. Avec les joueurs précités l’équipe était largement pourvue. Mais je me disais aussi que ces joueurs étaient mes aînés, allaient un jour ou l’autre s’en aller. (A ce propos le contrat à temps est une réalisation très positive aussi pour la promotion des jeunes, car depuis qu’il existe les jeunes savent que leur attente à la porte de l’équipe première prendra fin à une date précise, alors que, auparavant, cela pouvait durer indéfiniment…) Quand les anciens ont terminé leur contrat au SCO, je suis devenu titulaire, parce que cette fois j’apportai quelque chose. Je crois que cette notion d’apport du joueur dans le sport collectif qu’est le football est très importante. Le joueur doit apporter quelque chose, mais il faut que ses partenaires comprennent aussi la nécessité de cet apport, qui n’est pas forcément d’ordre technique d’ailleurs. Ainsi pour prendre un exemple que je connais bien, ;;;;Brulez est devenu titulaire au SCO parce qu’il apportait à l’équipe ce dont elle avait besoin, c’est-à-dire un défenseur central avant du répondant physique. Au départ, sa technique n’était pas extraordinaire, mais avec la confiance, il s’est nettement amélioré sous ce rapport tout en conservant la qualité physique qui le rendait nécessaire à l’équipe.
Vous avez défini avec une grande clarté les conditions essentielles de la progression et de la promotion du joueur. Croyez-vous que la progression du joueur français soit limitée, comme on le dit trop souvent ?
JMG : Non, au contraire je pense que les joueurs français peuvent s’élever au niveau le plus élevé du football international? J’admire les grands joueurs que j’ai l’occasion de voir sur le terrain ou à la télé. Mais je pense que ce qu’ils font, des joueurs français peuvent le faire. Cependant le football, il faut insister là-dessus, est un sport collectif et il est injuste de juger un joueur en dehors du contexte collectif.
A propos … que pensez-vous du fait que les sélectionneurs vous oublient régulièrement, ce qui commence à frapper la majorité de l’opinion publique ?
JMG : Je mentirai en répondant que je ne suis pas déçu. Je crois honnêtement que cette année je méritai la sélection sur l’ensemble des matches de championnat que j’ai disputés. Mais dans le fond, je n’attache pas tellement d’importance à la sélection. Pour moi, il y a beaucoup de choses plus importantes dans ma vie de footballeur. Je vous dirai, par exemple, que si j’avais à choisir entre la perspective de réaliser dans mon club une aussi bonne saison que la présente saison sans être sélectionné, et celle d’être sélectionné en réalisant dans mon club une saison médiocre, mon choix de porterait sans hésiter sur la première perspective. Pour moi, le football c’est d’abord la joie de jouer…
Vous l’éprouvez toujours cette joie de jouer ?
JMG : Non pas toujours. Mais c’est ce que je cherche et que j’ai trouvé quand au coup de sifflet final, je me dis : “Déjà”… La sélection, la prime la victoire… tout cela vient après la joie de jouer. Malheureusement, presque partout, on a inversé l’ordre des choses. Et c’est ainsi qu’on a limité les possibilités des joueurs. Les grands joueurs -les Pelé, Cruyff, Charlton et autres- ont cette caractéristique commune qu’ils respirent la joie de jouer. Le reste suit. le football c’est leur passion. Quand ils auront passé la quarantaine -regardez Kopa- ils joueront avec la même joie même s’il n’y a ni argent, ni gloire à la clé…
La joie de jouer cela ne veut pas dire le dilettantisme. Quand on a du plaisir à jouer on ne sent pas sa fatigue. On n’est jamais fatigué après un bon match, parce que le plaisir compense la fatigue des muscles. Oui on prend le problème à l’envers, quand on dit que c’est en apprenant à souffrir qu’on apprend à jouer au football.
Je pense qu’en raisonnant ainsi on est arrivé à limiter la plupart des joueurs à ne manifester qu’un infime pourcentage de leurs possibilités. Pour qu’un joueur s’exprime pleinement il doit être “libéré”.
Ne pensez-vous pas que le dispositif tactique à une importance essentielle dans cette “libération” ?
JMG : Non, je crois que ce qui est capital c’est que le joueur puisse s’exprimer comme il le sait. Dans n’importe quel contexte tactique il doit y parvenir. Apporter aux partenaires des soutiens et des appuis est une question d’intelligence du jeu, et un footballeur doit évidemment avoir cette intelligence.