De passage à Montréal mi-août pour l’ouverture prochaine de l’une de ses académies au Canada, Jean-Marc Guillou est convaincu que l’évolution de la Major League Soccer (MLS), la principale ligue professionnelle de football en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) passe par la formation. Pour l’ex-international français, grand dénicheur de talents en Afrique, l’expansion de la MLS est freinée par un manque d’organisation.
Pourquoi souhaitez-vous ouvrir une académie au Canada ?
Les fédérations locales ignorent les joueurs issus de l’immigration. Elles songent avant tout à faire de l’argent. Les licences sont chères [les sommes peuvent dépasser plus de mille dollars par an et par enfant] et de nombreux jeunes Africains ne peuvent s’inscrire dans un club car leurs parents n’ont pas les moyens financiers pour cela. Cette académie pourrait bénéficier au soccer et à la MLS dans son ensemble. Le fonctionnement serait identique à ce que l’on a réalisé en Afrique et je pense que l’on pourrait y découvrir et former les mêmes talents [l’ossature des Eléphants de la Côte d’Ivoire a fréquenté sa célèbre académie à Abidjan, notamment Yaya Touré, Kolo Touré, Salomon Kalou, Emmanuel Eboué ou encore Gervinho.]
Comment jugez-vous la formation nord-américaine ?
Elle doit se remettre en question. Il y a de très bons jeunes, sans club, qui auraient besoin d’une formation, mais il y a un manque d’organisation. Avant que la MLS n’arrive à concurrencer les grands championnats européens, elle doit améliorer sa formation. On ne constitue pas une équipe entière en achetant toujours des joueurs en fin de carrière. Drogba devrait s’imposer sans problème à Montréal, mais il aura besoin de soutien. Une véritable volonté de formation doit s’imposer en Amérique, mais cela risque de prendre dix à quinze ans avant de pouvoir rivaliser avec l’Europe.
La MLS devient une destination appréciée des jeunes joueurs africains qui arrivent par dizaine en Amérique du Nord. Cela vous étonne-t-il ?
Il n’y a rien d’étonnant. Les Africains cherchent à quitter leur pays et sont très demandeurs d’un emploi à l’étranger. Les Etats-Unis et le Canada, avec un championnat bien organisé et dynamique, représentent des destinations plus intéressantes que les Emirats ou le Qatar pour des jeunes talentueux. Le problème, c’est que la MLS incite pour l’instant leur club à recruter prioritairement un joueur en fin de carrière, comme Drogba. La publicité est plus importante, tout comme les rentrées d’argent. Mais la MLS aurait tout à y gagner en se penchant davantage sur l’Afrique et ses jeunes.
Les adolescents de vos académies en Afrique évoquent-ils la MLS parmi leurs désirs ?
Pas encore, mais je suis persuadé que cela viendra. Ceux qui ne pourront rejoindre l’Europe peuvent avoir l’occasion de se mettre en valeur ici, en Amérique. C’est pour cette raison également que l’on envisage cette académie au Canada [l’ouverture est fixée pour septembre 2016 à Montréal]. Ils auront l’opportunité d’être repéré.
Les Africains peuplaient les championnats français ou belges il y a quelques années. Aujourd’hui, ils ont de plus en plus de mal à intégrer les principales ligues européennes…
Les tendances évoluent, tout simplement. Des clubs, en Europe de l’Est notamment, ne tiennent plus leurs engagements. Des championnats, comme en Italie, sont en déficit. Bientôt, la Chine et l’Inde pourraient devenir des destinations attractives. Si, demain, ces pays structurent mieux leur football, ils intéresseront tous ces joueurs qui n’ont pas le niveau pour atteindre les grands championnats, comme l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et la France. Avec l’importante population et l’intérêt médiatique sur place, les droits télé exploseront. Certains joueurs seront plus riches qu’en Angleterre.
Comment jugez-vous le niveau de la MLS ?
Je n’ai vu qu’une seule rencontre [Impact Montréal face à DC United, le 8 août], difficile donc d’avoir un avis définitif, mais le niveau semble comparable à un match de milieu de tableau de Ligue 1 en France. Il y a davantage d’engagement mais moins de technique.
Propos recueillis Romain Schué
Source www.lemonde.fr