Dans un football cadencé au rythme d’une machine à cash et millimétré comme une mécanique de précision, il existe encore des expériences loufoques ou exotiques qui se transforment en aventures extraordinaires.
Soit Jean-Marc Guillou, ex-footballeur et entraîneur qui, un beau matin, à plus de quarante ans, prend ses cliques et ses claques et va ouvrir une académie de football en Côte d’Ivoire. Il s’en va parce que personne ne lui a tendu la main, il s’en va parce qu’il est marginalisé, il s’en va parce que c’est un puriste incompris et un peu sombre qui n’a jamais daigné prendre une pose d’affiche publicitaire.
A l’époque, dans les années 1970, le « Miroir» avait évidemment pris fait et cause pour Guillou l’Angevin dans le duel qui l’opposait à Michel le Nantais pour le poste de numéro 8 en équipe de France. Guillou devra attendre d’avoir 29 ans pour qu’on lui concède sa première sélection alors qu’il éclabousse le championnat de France de sa maîtrise technique. Il ne portera le maillot tricolore qu’à 19 reprises contre 58 à Michel.
Entre un Guillou très inspiré et un Michel pragmatique, le football français et ses sélectionneurs d’alors, le taciturne Georges Boulogne et le folklorique roumain Stefan Kovacs avaient comme d’habitude privilégié la robustesse au talent.
Ce malentendu persistant, Guillou se retrouva donc à Abidjan au début des années 1990 avec pour tout bagage ses économies et sa science du football. Son casting sauvage sur les terrains vagues fut aussi éclairé que limpide sa qualité de passes sur les stades de jeu. 23 gosses de 10 à 12 ans composèrent le premier contingent de l’académie. Dix ans plus tard, 22 jouaient dans des clubs de première division des championnats européens (le 23ème fut réformé pour fragilité cardiaque) après avoir fait escale à Beveren, en Belgique, passage obligé où ils terminent leur apprentissage. Beaucoup transiteront en France, en particulier Yaya Touré, gloire de l’académie, l’un des meilleurs milieux de terrain au monde depuis 7 ou 8 ans qui jouera à Monaco avant Barcelone et Manchester City aujourd’hui. Kone Baky(Lorient, Marseille, Qatar), Gervinho (Lille, puis Arsenal et l’AS Rome), Kalou(Lille entre Chelsea et Hertha Berlin), Yapi Yapo (FC Zurich après Nantes), Zokora (Alediyespor en Turquie après Saint-Etienne et Tottenham), Romaric (aujourd’hui anonyme à Bastia mais qui fut un bon joueur à Séville), Eboué (Galatasaray après avoir été un excellent latéral droit à Arsenal), Boka(Malaga après Stuttgart), Kolo Touré (frère de Yaya, aujourd’hui à Liverpool après Arsenal et Manchester City) Aruna Dindane (Anderlecht soulier d’or dans ce championnat puis Lens et le Qatar) auront été les plus fiers ambassadeurs de cette promotion exceptionnelle dont tous les acteurs ont un point commun : le sens du football, l’intelligence de jeu, la correction. Où placer cette réussite exceptionnelle dans la hiérarchie du football ? Sûrement haut, très haut.
14 millions pour Adama Traoré
Mais la carrière de Guillou n’est jamais un long fleuve tranquille. Un conflit financier l’oppose à son associé en Côte d’Ivoire où l’Académie est dissoute en même temps que sa participation active à Beveren. Guillou se retrouve le bec dans l’eau avant qu’il ne croise le Malien Salif Keita, ancienne gloire de Saint-Etienne qui lui propose de faire une académie à Bamako. A 60 ans, Guillou reprend son bâton de pèlerin pour former de jeunes Maliens. Dans le même temps, il espère faire du Paris Football Club un tremplin avant leur envol. Mais l’affaire capote après quelques mois, là encore pour de ténébreuses affaires financières.
A Bamako, un jeune garçon de 20 ans, Adama Traoré, est prêt pour le grand saut. Il part à Lille début 2015 où il joue peu, termine avec les U20 ans du Mali troisième du dernier championnat du monde en Nouvelle-Zélande, où il est élu meilleur joueur de la compétition. Et dans un marché des transferts totalement atone pour les clubs français, Monaco met 14 millions d’Euros sur la table pour l’acquérir alors même que le club de la Principauté vend ses meilleurs joueurs pour renflouer ses caisses. Il y aurait derrière les têtes monégasques une idée de faire une culbute rapide qu’on ne serait pas autrement surpris. Le plus à même de juger footballistiquement Adama Traoré est évidemment Guillou : «Adama a tout pour devenir un très grand attaquant de soutien. Son seul ennemi, c’est peut-être lui. Lorsqu’il est entré à l’académie, il n’avait plus que sa mère comme parent. Mais soudainement, sa fraîche notoriété lui a valu de découvrir beaucoup de cousins qui veulent devenir son agent. Comme Yaya Touré en son temps, il va devoir vite faire le vide autour de lui. S’il y arrive, il est à l’aube d’une belle carrière ». La dernière trouvaille de Guillou n’a sûrement pas fini de faire parler de lui. Le football français est vraiment très fort pour avoir pu se passer d’un pareil dénicheur de talents.
source www.miroirdufootball.com